Il trempa ses yeux verts dans l'eau de la rivière, peu à peu coloré d'un rouge qui venait des profondeurs. Un cadavre, encore un. Il se faisait emporter par les courants, et bientôt ne laissa aucune trace de son passage.
Le démon marcha, aucun son, nous rien, c'était le silence qu'il provoquait et non le bruit. On l'évitait, on le fuyait. Il sentait la peur des personnes éparpillées dans cette mer d'arbre, les coeurs qui battaient de plus en plus vite et d'un coup ... S'arrêtaient.
Un frisson le parcourut progressivement tandis qu'il serra les poings, il prenait encore de la puissance.
Un jour, il monterait au ciel et tuerait les Dieux, pire, les torturerait. Il attendait dans cette forêt, avec patience il formait son armée de marionnette que Satan lui offrirait une fois complète.
Le démon s'assit contre un arbre qui avait étrangement les courbes élégantes d'une femme, les nymphes qui habitaient, jadis, cet étrange lieu avait toutes été transformées en arbres, suite à cela, la forêt avait pourri peu à peu car le seul engrais que les plantes recevaient était le mélange d'os et de chair des cadavres qui n'avaient pas atteint la rivière.

Ses yeux fermés avaient encore du mal à s'ouvrir. Elle ne sentait qu'un froid glacial ; sa main se referma, comme si elle voulait attraper quelque chose, mais elle ne sentit que la neige. Elle se retourna, pour se retrouver sur le dos. Les larmes que autrefois avaient versées ses prunelles dorées avaient gelées. Elle réussit malgré tout à ouvrir les yeux. Elle avait mal. Elle sentait une vive douleur, mais où ? Impossible à le dire. Son premier réflexe fût de mettre sa main entre ses jambes. Rien. Au moins était-elle sûre de ça. Parce qu'en se relevant, péniblement, elle ne fût sûre de plus rien. Elle regardait cet endroit effrayant, le découvrant. Ou peut-être y a-t-elle déjà été ? Elle n'en savait rien. Elle ne savait pas ce qu'elle faisait ici. Ni même qui elle était. Cette dernière pensée la fit frissonner. Qui est-elle.. Elle avait beau se creuser la tête, la réponse ne voulait pas lui venir. Elle se mit alors à trembler. Non pas de froid, mais de peur. Elle se retourna brusquement, persuadée qu'il y avait quelqu'un derrière elle. Mais personne. Elle était seule. Les larmes lui remontaient aux yeux. Elle tomba à genoux, tremblant encore plus. Et puis, non loin, elle vit quelque chose dépasser de la neige. Hésitante, elle tendit la main. C'était doux. Doucement, elle tira dessus. Ce n'était qu'un simple porte-clé. Un petit lapin en peluche. Mais lorsqu'on le regardait de plus près, c'était vraiment à se demander s'il n'était pas aussi horrible que les étranges arbres de cette forêt, et elle-même tout court. Il avait de grands yeux, noirs, qui semblaient vous dire "regarde-moi". En eut-elle même du mal à en détourner le regard. Elle le retourna, ensuite. Sur l'une de ses oreilles était brodé en lettre noires "Pour". Sur l'autre, "Anon".

Il se leva dans un grondement sourd, une nouvelle personne venait de pénétrer dans le piège. Le démon avança sur le sol enneigé, toujours aussi silencieux, il ne faisait aucune marque de pas dans le tapis blanc.
Le démon s'approchait peu à peu, il pouvait sentir sa présence, son sang qui semblait si gouleyant ... C'était une fille, il en était sûr. Bientôt, ses yeux verts transpercèrent l'obscurité des arbres et il se montra enfin à la jeune fille. Le prédateur fixait sa proie.
Il vint se placer juste à côté. Cette aberration était torse nue, avec des tatouages dispersés partout sur son corps musclé, sculpté par un passé violent qui ne pardonnait aucune erreur.
Aucune émotion ne se lisait sur son visage, même pas le fait qu'il était très déçu de ce que le vent lui amenait la demoiselle ne pouvait pas être une marionnette, non, trop fragile, trop inoffensive, trop ... innocente.
Il tendit la main vers elle et attrapa une bonne partie de ses cheveux avec beaucoup de violence.

Sa présence, lorsqu'il fût derrière elle, "Anon" la sentit bien vite. Mais elle ne se retourna pas. Elle avait peur. Tellement peur qu'elle n'arrivait à rien : même pas à fermer ses yeux et hurler de toutes ses forces pour se réveiller de ce cauchemar qu'il n'en était pas un. Elle tenait, serrait, broyait, presque, le lapin dans sa main. On n'aurait pu dire si c'était ses yeux, ou la neige qu'elle fixait ainsi avec son regard vide. Elle ne le savait pas, mais le sentait ; oui, elle sentait sa fin proche. Et puis toute cette douleur dans son corps sembla se concentrer dans ses cheveux, qu'on tira violemment. La douleur lui arracha un son, un cris. Que pourtant personne n'entendit.

Il la lança sur le sol, toujours avec autant de violence, arrachant ainsi une partie de ses cheveux mais pas assez pour que cela soit visible. Trop faible ...
Le sol se mit à trembler et la neige semblait s’engouffrer dans un trou sans fin, il poussa, avec le pied, la demoiselle à l'intérieur mais, pour une raison inconnue, lui prit d’abord cette peluche en forme de lapin qu'elle tenait.
La terre se referma sur la jeune fille, il peut entendre les os se craquer avec la pression, la neige réapparut vite mais d'une couleur rougeâtre, quelle beauté !
Il accrocha la peluche à la ceinture de son pantalon et aussi silencieuse qu'à son arrivée, s'en alla se fondre une nouvelle voix parmi les nymphes de bois dont disposait la forêt.
S'il avait sur lire, il aurait sans aucun doute déchiffré ce qui avait été marquer sur l'objet qu'il venait de récupérer, par simple curiosité, bien que celle-ci soit un grand défaut ... Oui et alors ? C'est le démon après tout !

De nouveau, elle ne se souvenait de rien. Presque, rien. Elle se rappelait du moment où elle fût projetée au sol, et où celui-ci comme sous ses pieds s'ouvrit. Elle fût vite à l'intérieur. De nouveau, le noir. Le vide. Elle se rappelait tout juste de cette extrême, horrible, douleur. Une douleur jamais connue. Ce moment, qui ne dura pourtant pas si longtemps, pour elle, sembla durer au moins toute une éternité. D'abord, ce furent ses jambes et son bassin qui y passèrent. Ses côtes, ensuite. Ses organes internes. Son coeur s'arrêta avant même que son crâne n'ait eu le temps de s'éclater et d'incruster tous ces morceaux d'os dans son cerveau. Et le noir revint, ensuite. Mais cette fois, plus aucune douleur. Elle n'avait même pas froid. Elle ouvrit les yeux, avec plus de facilité que la première fois. Elle était allongé, dans la neige. Comme au début. Au même endroit ? Peut-être. Peut-être pas. Elle n'en savait rien. Tout se ressemblait tellement. La neige était toujours aussi pure, les arbres toujours aussi effrayants. Elle se releva, sans aucune difficulté. Tout ça n'était donc.. qu'un rêve ? Rêvait-elle dans un rêve ? Puisque cela ne pouvait être la réalité.. Mais pourtant, quelque part en elle, tout au fond, elle savait que tout cela n'était que bien trop réel. Elle ne comprenait pas. Ses vêtements étaient secs, elle ne ressentait aucun froid. Ni aucune chaleur, d'ailleurs. Elle hésita, avant de se gifler elle-même. Fort. Mais rien ! Elle n'a même pas eu mal.. Et puis elle comprit, sans même vraiment savoir comment. Elle était morte. Sa respiration s’accéléra. Elle posa sa main sur sa poitrine. Son coeur ne battait pas. Plus. Elle leva alors les mains devant son visage. Elles étaient blanches, comme d'habitude. Elle ferma les yeux un moment. Le lapin lui revint en tête. Ensuite, elle enleva sa veste qui ne faisait plus que la gêner. Et même lorsqu'elle enleva son pull pour se retrouver en simple chemise blanche, elle n'avait toujours pas froid. Se retrouvant alors juste cette chemise presque transparente, dont elle remonta les manches, elle la sortit de sa jupe à carreaux, histoire de se mettre à l'aise. Puisque de toute manière elle était morte..
Maintenant, ses seuls souvenirs furent ces derniers. De la souffrance, de la douleur. Pour elle, c'était comme recommencer tout du début. Elle s'appellerait dorénavant Anon, et sa naissance aura eut lieu en même que sa mort.

Mais à présent, la seule chose qui comptait, était de retrouver ce lapin.

Le démon continuait de marcher dans cette forêt qui était son lieux de naissance et de résurrection. Il la connaissait mieux que n'importe qui, c'était comme s'il l'avait lui-même créée.
Il avait déjà presque oublié le visage que portait l'âme qu'il avait fauchée, peu importe, cette personne ne lui avait pas beaucoup apporté en puissance, quelle perte de temps ...
Il décrocha le lapin de sa ceinture et se ressaya de nouveau contre son tronc habituel. Il le regarda attentivement, parcourant du regard ses simples recoins. Il appuya doucement sur ce qui semblait être son ventre avec son pouce.
C'était doux ... Il n'avait jamais rencontré quelque chose d'une telle matière. Dans un sens, il trouvait cela plutôt amusant et agréable. Bientôt, il se posa la question qu'il a laquelle il aurait dû essayer d'y trouver la réponse en premier temps : A quoi cet objet pouvait-il servir ?
Une arme des humains ? Pourtant, ça n'avait pas l'air dangereux, on contraire !
Durant un cours instant, il fit le rapprochement entre ce "truc" et les petits animaux qui rodaient par moments en ces lieux.

Anon, elle, marchait toujours, aussi. Ne sachant vraiment où aller, elle scrutait attentivement ces étranges arbres. Peut-être était-ce le fait qu'elle était morte, ou que ça faisait tellement longtemps qu'elle marchait sans s'épuiser, mais bizarrement, ils ne l'effrayaient plus. Ou alors était-ce parce qu'elle voyait en eux la seule compagnie à laquelle elle avait droit ? Il fallait croire qu'elle se sentait seule. Et qu'elle s'ennuyait. Alors, au bout d'un moment, elle commença par leur donner des noms. Jusqu'à en faire un jeu. Elle leur parlait, leur serrait la main, leur inventait des histoires.. Jeu un peu macabre quand on pense à ce qu'étaient ces arbres à l'origine. Ce qui l'amusait aussi, était de marcher et de voir que ses pas ne laissaient aucune trace sur la neige. Mais ce qui devait l'ennuyer le plus, étant sans doute cette frange qui lui barrait le visage. Elle avait beau la remettre en arrière ou sur le côté, elle revenait toujours..

"Vous en avez, de la chance, vous ! S'exclama-t-elle alors, sans même savoir qu'elle approchait de plus en plus de son ancien bourreau. Vous voyez tout, vous entendez tout.. Vous sentez tout ? Demanda-t-elle alors en passant ses doigts fins sur les branches d'un grand arbre. Mais moi, j'en ai quand même plus que vous. Rajouta-t-elle. Je peux marcher, courir, tourner.. Et en même temps qu'elle parlait, elle exécutait ses gestes. Mais je suis morte. A cette idée, finalement, elle s'y était habituée. Assez rapidement, d'ailleurs ; ne se souvenant d'avoir connu autre chose, quoi de plus normal qu'une telle réaction ? Je peux parler, mais pas vous. Dit-elle en passant devant un autre arbre, sur lequel elle leva ses grands yeux. C'est dommage, vous ne pouvez même pas me répondre. On aurait pu parler, beaucoup.." Finit-elle en s'arrêtant devant ce dernier, le fixant, la tête légèrement penchée sur le côté.

Le démon se leva de nouveau, on ne pouvait vraiment jamais être tranquille ici, qui venait de nouveau mettre fin à son repos ?
Il alla vers la voix qu'il entendait, elle semblait plutôt proche. Sans un mot et avec autant de silence dont il avait le secret, il passa la main au travers de l'abdomen de la demoiselle, fantôme ...
Il ne reconnaissait pas le visage de cette jeune fille, à vrai dire, lord de son crime, il n'avait pas prit le temps de se mémoriser ses traits fins pour s'en souvenirs plus tard.
Il avait une main au niveau de la peluche qu'il avait plus tôt ramassé, il ne la lâchait plus, c'était tellement doux que ça en devenait agréable.

- Rôderas-tu dans cette forêt jusqu'à trouver ce qui t'offrira le repos éternel ?

Demanda-t-il. Le ténébreux jeune homme avait une voix grave, profonde, qui résonnait calmement parmi les arbres de cette mer d'arbres.

Anon ne vit la main que lorsqu'elle baissa enfin les yeux de l'arbre. Elle la traversait de part en part, mais elle ne sentait rien. Juste peut-être ce léger chatouillement.. Mais rien de plus. La main, elle l'a reconnu assez rapidement. Elle trouvait ça encore plus étrange, maintenant, qu'elle entendait sa voix, et qu'elle ne ressentait ni aucune peine, ni aucune douleur. Ni aucune haine. Rien. Elle passa alors, lentement, ses doigts sur les siens. Avant de les attraper fermement. Elle pouvait traverser les choses, comme elles le pouvaient également, mais il fallait croire qu'elle pouvait aussi en tenir. Anon se retourna, sa main toujours en elle. Et, levant lentement ses prunelles vers lui, elle desserra son étreinte sur ses doigts. Sa tête se renversa sur le côté, comme celle d'une poupée cassée. Elle vit alors le lapin, plongeant son regard dans le sien, en oubliant presque le démon. D'ailleurs, ses paroles-même, elle les entendit comme si ce fût la peluche qui les prononça.

"Je ne sais pas. Les mots sortirent de sa bouche mais elle n'eut pas l'impression que les avoir prononcé. Comparé au jeune homme, sa voix, à elle, était plutôt douce, calme. Pas forte du tout. Elle semblait être ailleurs, la brunette. Elle semblait vouloir en dégager le regard, mais c'est comme si quelque chose l'en empêchait. Je ne sais pas.." Répéta-t-elle pour la seconde fois, plus doucement encore que la première.